Les écologies de la dissension et du consentement au rassemblement LIFT 2023

Par Antonio Catrileo

Au cours de la première séance de discussion communautaire consacrée aux présentations, il paraissait clair que l’aspect transnational du rassemblement était le résultat de vraies relations tissées grâce à la sensibilité partagée entre les nombreux·euse·s collaborateur·trice·s partout dans le monde. Chacun·e s’est salué·e et a passé du temps à se donner des nouvelles entre les présentations et les événements, un signe apparent d’un ensemble de relations professionnelles de longue date fondées dans le respect et le soin – ce qui correspondait bien à une communauté de créateur·trices travaillant un médium comme le cinéma analogique. Durant ce premier rassemblement en personne de LIFT depuis les confinements dus à la covid 19, un sentiment accru s’est clairement exprimé : le besoin de connexion, le besoin de temps pour s’asseoir ensemble et discuter de sujets entourant le cinéma analogique.

Par le fil conducteur commun de la résilience, la communauté de cinéastes rassemblées a exprimé ensemble son insistance selon laquelle le cinéma analogique est créatif, politique, ancré dans la communauté et même dans la pratique spirituelle. Le cinéma devient quelque chose qui s’entremêle avec leur vie, et le caractère analogique de cette pratique particulière demande une compréhension et une gestion du temps différentes. Le cinéma requiert un processus qui n’est ni immédiat ni fluide, mais plutôt une temporalité qui s’oppose à la vélocité de l’obsolescence programmée dans les écologies médiatiques contemporaines ainsi qu’à la vélocité des changements technologiques qui transforment les frontières de la culture visuelle contemporaine.

La première séance, animée par le Harkat Collective, Tsen-Chu Hsu, Luciana Decker Orozco, Miglė Križinauskaitė-Bernotienė, a montré clairement à quel point la communauté est interreliée dans le monde, et combien il existe une certaine relationalité dans les pratiques de cinéma analogique qui créent un sentiment d’appartenance dans la création; un sentiment de faire partie d’une communauté en raison de l’insistance de travailler avec un médium en voie de disparition. Ces relations contribuent à une écologie transnationale de résilience technologique artistique; les artistes insistent sur la production d’images au moyen d’un usage contre-intuitif du temps « productif », et d’un engagement créatif avec l’obsolescence technique – comme la réutilisation et le recyclage de vieilles caméras, de pellicules et de produits chimiques. Les présentateur·trice·s du premier panel ont montré les nombreuses façons dont la pratique a survécu : dans des laboratoires pédagogiques expérimentaux, dans des programmes de résidence, en connexion avec d’autres disciplines performatives, et le tout en évoquant différents enjeux géopolitiques liés à l’accès, au financement, et à la distribution vécus par chacun·e dans sa carrière.

Comme dans la séance d’ouverture, la séance de clôture (le panel sur l’écologie et le cinéma au Artscape Gibraltar Point) a présenté une variété de perspectives qui ont créé un espace fécond de discussion, de consentement et de dissension autour de l’idée et de l’utilisation d’« écologies » de manière concrète, environnementale et aussi métaphorique, pour parler du cinéma analogique comme système de perception, de connaissance et de travail. Alexandra Moralesová du Labodoble 1 animait cette séance et a été rejointe par Phil Hoffman, Franci Duran, Robert Schaller, Richard Tuohy, et Dianna Barrie en personne ainsi que par Georgy Bagdasarov et Kim Knowles en virtuel.

Même si, au début, la discussion était axée autour de l’aspect toxique du cinéma photochimique dans l’industrie du cinéma, par rapport aux environnements et aux communautés, la discussion s’est rapidement ouverte pour considérer d’autres aspects qui composent un environnement pour le cinéma en tant que pratique pour faire monde. Certaines des questions posées durant la conversation libre sont importantes et elles animent l’esprit contemporain du cinéma analogique. Ces questions sans réponses sont fécondes dans le sens où elles nous poussent à considérer notre posture dans le monde en matière de conditions matérielles et d’historicité de nos corps et de nos territoires. Parmi les questions abordées, on trouve :

Tout le monde ne semblait pas d’accord avec toutes les déclarations provenant des discussions, toutefois je pense qu’il est pertinent de souligner certaines des questions qui ont créé des conversations durables et qui ont eu un effet sur les participant·e·s. Ces déclarations et questions font de la communauté LIFT un espace qui accueille la dissension quand elle est exprimée de manière bienveillante et respectueuse. En outre, je pense que la discussion a aussi rendu visibles certains points de vue qui pourraient infuser une nouvelle énergie à la communauté internationale de cinéma analogique. Plus que jamais, on doit penser aux efforts et aux conversations des différents collectifs et communautés qui collaborent, et comment ceux-ci pourraient faire de la place aux nouvelles générations de cinéastes qui veulent cadrer différents objets, filmer à l’aide d’une stratégie ou d’une méthodologie différente, et traverser d’autres frontières disciplinaires qui n’ont jamais été traversées auparavant. Soutenir ces efforts, même s’ils dérangent et remanient ce qui semblait fondamental à la communauté du cinéma analogique, assurera la survie de la pratique.

Tout le monde ne semblait pas d’accord avec toutes les déclarations provenant des discussions, toutefois je pense qu’il est pertinent de souligner certaines des questions qui ont créé des conversations durables et qui ont eu un effet sur les participant·e·s. Ces déclarations et questions font de la communauté LIFT un espace qui accueille la dissension quand elle est exprimée de manière bienveillante et respectueuse. En outre, je pense que la discussion a aussi rendu visibles certains points de vue qui pourraient infuser une nouvelle énergie à la communauté internationale de cinéma analogique. Plus que jamais, on doit penser aux efforts et aux conversations des différents collectifs et communautés qui collaborent, et comment ceux-ci pourraient faire de la place aux nouvelles générations de cinéastes qui veulent cadrer différents objets, filmer à l’aide d’une stratégie ou d’une méthodologie différente, et traverser d’autres frontières disciplinaires qui n’ont jamais été traversées auparavant. Soutenir ces efforts, même s’ils dérangent et remanient ce qui semblait fondamental à la communauté du cinéma analogique, assurera la survie de la pratique.


1. Labodoble est un laboratoire de cinéma géré par des artistes, et une plateforme muséale situé à Prague, le tout dirigé par Alexandra Moralesová et Georgy Bagdasarov. L’artiste se concentre principalement sur les processus cinématographiques photochimiques, mais s’intéresse aussi à d’autres types de pratiques et médiums, et problématise et critique leur équipement. https://www.filmlabs.org/labs/labodoble/


Antonio Catrileo (iel) est auteurice, artiste et tisserand·e mapuche de Pikunmapu/Qullasuyu (Curicó, Chili). Iel poursuit un doctorat en études ethniques à la University of California à San Diego après avoir obtenu un B.A. et une M.A. en littératures chilienne et hispanique de la Universisdad Católica de Valparaíso. Auteurice de « Awkan epupillan mew: dos espíritus en divergencia » (2019) et de « Diáspora » (2015), Antonio participe à la Catrileo+Carrión Community, où iel a contribué à la publication collective des ouvrages « Poyewün Nütramkan Pikunmapu/Qullasuyu » (2020), « Poyewün witral: bitácora de las tejedoras de Neltume » (2019), « Torcer la palabra : escrituras obrera-feministas » (2018) et « Yikalay pu zomo Lafkenmapu » (2018). Collaborateurice actuel·le du collectif latino-américain du Global Center for Advanced Studies, ses recherches offrent une approche critique de la façon dont les catégories coloniales de genre et de sexualité ont été imposées en contexte mapuche. Selon Catrileo, le terme epupillan (bispirituel) représente une pratique stimulante pour éviter de reproduire les torts perpétrés par les récits d’archives et ainsi concevoir un avenir mapuche au-delà des politiques nationales, identitaires et de la simple reconnaissance. Epupillan constitue un savoir situé et celui-ci est partagé par bon nombre de personnes aînées militantes pour la cause du VIH/sida et défenseuses des terres.


Manuel Carrión Lira est chercheur, vidéaste et commissaire de Pikunmapu/Qullasuyu (Quillota, Chili). Iel est doctorant·e en études culturelles au département de littérature de la University of California San Diego. Manuel est titulaire d’une M.A. en art, pensée et culture latino-américaine de l’Instituto de Estudios Avanzados de la Universidad de Santiago de Chile et titulaire d’un B.A. en design de la Universidad de Valparaíso. Membre de la Catrileo+Carrión Community, Manuel a contribué à la publication collective des ouvrages « Poyewün Nütramkan Pikunmapu/Qullasuyu » (2020), « Poyewün witral: bitácora de las tejedoras de Neltume » (2019), « Torcer la palabra : escrituras obrera-feministas » (2018) et « Yikalay pu zomoLafkenmapu » (2018). Iel s’implique dans le collectif latino-américain du Global Center for Advanced Studies où son travail s’articule autour des médias autochtones, à l’intersection des réseaux de parenté transautochtones et transnationaux, par-delà des cadres étatiques et nationaux, avec une attention particulière portée aux productions culturelles autochtones queer/trans/2E/epupillan.


Communidad Catrileo+Carrion regroupe des personnes queer/trans/non binaires epupillan (bispirituelles) autochtones qui œuvrent à la création d’espaces empreints de relations et de réciprocité. Ses membres honorent le territoire et les ancêtres par des cérémonies sous forme de pratiques audiovisuelles, textiles, éditoriales, communautaires et d’exposition. Communidad Catrileo+Carrion est en résidence partagée entre Pikunmapu/Qullasuyu (la région de Valparaíso, Chili) et le territoire Kumeyaay (San Diego, Californie). À l’heure actuelle, le groupe se
compose de Catrileo Araya, Constanza Catrileo Araya, Malku Catrileo Araya, Alejandra Carrión Lira, et Manuel Carrión Lira.