Last Updated: février 28, 2025By

Whispering To My Soul : Quand les ancêtres nous appellent à la résurgence

Par Antonio Catrileo

Whispering to my soul (2021) d’Esperanza Sánchez Espitia est une invitation sensible qui explore la connexion à nos ancêtres à travers les rêves. Rêver ici est une manière de se réapproprier des savoirs ancestraux non occidentaux qui brisent la linéarité du temps. La dimension onirique est un espace où la connaissance est partagée au-delà des notions occidentales de temps et de rationalité. Le film va au-delà de l’esthétisation du monde onirique comme surréaliste. Comme un pont, ou peut-être comme une conversation généreuse avec les ancêtres, le film est une invitation à réfléchir aux moyens de résister à l’oubli. Dans le film de Sánchez, il y a une invocation de la façon dont ses ancêtres, qui deviennent des guides à travers la caméra, essaient de recomposer les fragments d’une histoire. C’est un appel à la résurgence, où la caméra voyage à travers différentes matérialités qui agissent comme des signes à suivre. Un chemin de mémoire, d’expériences vécues et d’intuition fait partie d’une longue menace, déchirée par le temps linéaire, comme une métaphore du colonialisme.

Whispering to my soul utilise l’acte de chuchoter comme un souffle, comme un souvenir, démontrant comment un cri est un acte vital pour appeler les ancêtres à parler. Le film commence par des échos et des sons inversés qui créent une expérience immersive et modifient la ligne droite du temps progressif, où passé-présent-futur se déplace dans une seule direction. Mais dans cette pièce, la sonorité du chuchotement récupère la circularité du temps, où le film devient un voyage qui cherche à perturber le « bruit occidental », comme le dit la voix dans le film. Que signifie chuchoter ? Qu’est-ce qui différencie un murmure d’une chanson ou d’un bruit ? Est-il possible que dans ce geste de chuchotement émerge également un cri ?

La voix dans le film apparaît comme un fil, où le temps est composé de manière circulaire, reliant chaque image. « Il est temps de briser votre propre silence, soyez courageux », déclare la voix, comme si c’étaient les ancêtres eux-mêmes qui lançaient cet appel. Cette expression, sa résonance sonore, fait penser aux rivières impétueuses qui ont leur propre rythme, leur propre sonorité. À l’instar des oiseaux qui chantent et voyagent d’un lieu à l’autre en transmettant leur chant, Whispering to my soul retrace son propre parcours en tissant de petits fragments d’archives personnelles.

C’est un film qui émerge de la mort, soulignant le mouvement impliqué par la mort en tant que force transformatrice, en tant que pont vers la vie. Whispering to my soul évoque une recherche ainsi qu’un sens spirituel de la vie, pour lequel Sánchez explore les langages poétiques entre différents éléments (eau, vent, lune, soleil) comme un moyen de créer des liens avec ses ancêtres. Le film est une recherche sur l’indigénéité, où l’ascendance est honorée d’une manière non essentialiste mais expérimentale. C’est aussi une façon de se souvenir de ceux qui ne sont plus là, de raconter des histoires pour guérir le traumatisme intergénérationnel de la violence coloniale exprimée sous de multiples formes jusqu’à aujourd’hui.

La voix est directe lorsqu’elle souligne cet état de fait. « Le colonialisme oppressif n’est pas plus puissant que votre sagesse ancestrale », dit-elle. « Vous n’êtes pas seul […] Vous n’êtes pas orphelin ». Le murmure appelle à la résurgence de la communalité, où la manière dont l’humain se situe est en relation directe avec toute la biodiversité, y compris les corps célestes. Les mots chuchotés nous rappellent que nous faisons partie d’une relation constellée qui rend possible une conversation avec le monde de l’invisible et de l’intangible. Le murmure est un pont vers les ancêtres, tandis que le film est un moyen de faire coexister ces voix. En ce sens, la tentative d’altérer le temps linéaire offre également une réflexion sur la façon dont la modernité-colonialité est un processus transhistorique qui a effacé et éradiqué l’indigénéité de nombreuses personnes en Amérique latine.

Esperanza Sánchez Espitia est née en Colombie, où elle a grandi et vécu pendant de nombreuses années. Cependant, elle s’est installée au Canada à la suite de diverses formes de violence qui l’ont obligée à se réfugier loin de chez elle. C’est dans ce contexte que sa pratique artistique émerge. Par le biais du cinéma, elle passe d’un monde à l’autre et d’une géographie à l’autre. Whispering to my soul explore l’impossibilité du retour au lieu d’origine, de la rupture et de la migration forcée, mais c’est aussi une recomposition de cette mémoire matérialisée dans le film ; c’est un épanouissement contre le silence.

Manuel Carrión Lira (he/they) is a Pikunche researcher, video-artist, and curator from Pikunmapu/Qullasuyu (Quillota, Chile). They are a PhD Candidate in Cultural Studies in Department of Literature at the University of California San Diego. Manuel holds a M.A. in Latin American Art, Thought and Culture from the Instituto de Estudios Avanzados at Universidad de Santiago de Chile, and a B.A. in Design at Universidad de Valparaíso. Member of the Catrileo+Carrión Community, where they have collectively published the books “Poyewün Nütramkan Pikunmapu/Qullasuyu” (2020), “Poyewün witral: bitácora de las tejedoras de Neltume” (2019), “Torcer la palabra: escrituras obrera-feministas” (2018) and “Yikalay pu zomo Lafkenmapu” (2018). Manuel is part of the Global Center for Advanced Studies Latin America Collective. Manuel’s work focuses on Indigenous Media at the intersection with Trans-indigenous/Transnational kinship networks beyond the nation-state framework, all of this with special attention to queer/trans/2S/epupillan Indigenous cultural production.

Antonio Catrileo (iel) est auteurice, artiste et tisserand·e mapuche de Pikunmapu/Qullasuyu (Curicó, Chili). Currently is a student at the PhD in Ethnic Studies at the University of California San Diego. They hold a B.A., M.A. in Chilean and Hispanic Literature at Pontificia Universidad Católica de Valparaíso. Author of the book “Awkan epupillan mew:dos espíritus en divergencia” (2019) and “Diáspora”(2015). Member of the Catrileo+Carrión Community, where they have collectively published the books “Poyewün Nütramkan Pikunmapu/Qullasuyu” (2020), “Poyewün witral: bitácora de las tejedoras de Neltume” (2019), “Torcer la palabra: escrituras obrera-feministas” (2018) and “Yikalay pu zomo Lafkenmapu” (2018). Currently is a collaborator of Global Center for Advanced Studies Latin America Collective. Their work is presented as a critical intervention in how colonial categories have been imposed on notions of sexuality and gender in the Mapuche context. Catrileo claims the word epupillan (two-spirit) as a generative practice that focuses on not reproducing the damage of the archive’s narratives in order to imagine a Mapuche futurity beyond the politics of recognition, nation, and identity. Epupillan is a situated knowledge shared by several elders who are HIV/AIDS activists and defenders of the land.